mercredi 22 février 2012

Le rapport de Brodeck, Philippe Claudel



Je m'appelle Brodeck et je n'y suis pour rien. Je tiens à le dire. Il faut que tout le monde le sache.Moi je n'ai rien fait, et lorsque j'ai su ce qui venait de se passer, j'aurai aimé ne jamais en parler, ligoter ma mémoire, la tenir bien serrée dans es liens de façon à ce qu'elle demeure tranquille comme une fouine dans une nasse de fer. Mais les autres 'mont forcé : "Toi, tu sais écrire, m'ont-ils dit, tu as fait des études". J'ai répondu que c'étaient de toutes petites études, des études même pas terminées d'ailleurs, et qui ne m'ont pas laissé un grand souvenir. Ils n'ont rien voulu savoir : "Tu sais écrire, tu sais les mots, et comment on les utilise, et comment aussi ils peuvent dire les choses. Ça suffira. Nous on ne sait pas faire cela. On s'embrouillerait, mais toi, tu diras, et alors ils te croiront".


Que dire si ce n'est que c'est certainement un des meilleurs livres que j'ai jamais lu ? Poignant, authentique, profond. Je l'ai relu récemment, et j'ai retrouvé intactes toutes les émotions de ma première lecture. 

Les noms... Des personnages, des lieux, des choses. Ce dialecte germanisant et poétique transporte et donne une impression d'immuable. Philippe Claudel n'est jamais précis dans le cadre spatial ou temporel. Tout est suggéré, tout est subtil. Le symbole est au cœur du roman ; roman à la fois impersonnel, intemporel et, par là même, universel. 

La folie des hommes... Ce que l'on retient de ce roman, c'est la tragique banalité du mal, la trahison, la cruauté de l'appareil nazi mais pas que de cela, la destruction physique et psychologique. L'auteur a le don d'utiliser un style parfois un peu lourd, pesant pour faire sentir, paradoxalement, l'horreur toute nue, sans fioriture. Le style est tantôt poétique, tantôt on ne peut plus cru. Le thème tantôt général, tantôt intime. Les personnages sont des types, ils sont décrits précisément et pourtant ils sont tout les hommes. Il n'y a jamais de tentative d'enjoliver la réalité, ils sont des hommes dans tout ce qu'il y a de bas en l'homme.

L'angoisse... Brodeck est seul dans la remise à taper sur sa machine, surveillé sans cesse. Revenir des camps n'a pas levé la peur, l'exclusion qui le poursuit depuis toujours. L'atmosphère du village montagnard est pesante, malsaine, oppressante  On ne peut faire confiance à personne. La solitude de Brodeck est frappante, troublante même. Sa femme est enfermée dans son esprit, sa fille est trop jeune, Fédorine est trop vieille. C'est affreux. Et il reste passif, détaché de tout et pourtant apeuré et révolté intérieurement : il est au-delà de l'humanité, trop profondément marqué par le chaos, on lui a trop fait comprendre qu'il n'était qu'un étranger et qu'il ne serait jamais rien. C'est à la profonde misère d'un homme que l'on touche, au malheur brut. 


L'art... Une composante importante du roman. Les paysages magnifiques des montagnes, la musique, la peinture et l'écriture sont abordés. Le problème ? L'art est toujours destructeur, malsain, pervers. S'il est bon en lui même, il est toujours lié à l'horreur. La peinture en révélant les hommes, les rend violents, la beauté des paysages cachent l'isolement, le danger et les drames qui s'y jouent, l'écriture condamne Brodeck, la musique d'Emélia (l'épouse de Brodeck) "fracasse la tête" et masque des atrocités. C'est une vision on ne peut plus pessimiste de l'humanité que dépeint Claudel. Je pense trop pessimiste pour être vraie mais à la place de Brodeck, qui n'aurait pas cette vision ?

Bref, l'étrangeté, la beauté, l'horreur, l'amour, la vie, la mort, la vie quand même.
Bouleversant... Indispensable.

♥♥♥♥♥

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